Le LMD, un peu d’humilité (au Nord) et de pragmatisme (au Sud) !

Cela fait 10 ans que les universités françaises sont passées au LMD,

Une nouvelle structuration des formations de l’enseignement supérieur comprenant 3 niveaux (Licence, Master Doctorat). Cette grande réforme est le fruit du processus de Bologne initié en 1998, ce processus étant l’un des piliers de la convention de Lisbonne émise en 1997 par le conseil de l’Europe (organisation intergouvernementale plus large que l’Europe elle-même). On a essentiellement retenu du LMD son système permettant à l’étudiant de construire son cursus dans plusieurs universités européennes par le biais d’un système de crédit (ECTS pour Système européen de transfert et d’accumulation de crédit).  Ainsi, sur la base d’un découpage en semestre un étudiant pouvait théoriquement réaliser une licence de 6 semestres dans 6 universités différentes. Ce système se mettait en place alors que la mobilité des étudiants dans l’espace européen via le système Erasmus fonctionnait déjà depuis plusieurs années. A la fin des années 90, certains étudiants français partis en mobilité avec Erasmus se heurtaient à de nombreuses difficultés pour faire valider, dans les universités françaises dans lesquelles ils étaient inscrit, les évaluations obtenues à l’étranger. Les professeurs français responsables ayant du mal à transformer des notation de type A, B, C, etc. en note sur 20 et trouvant parfois que la note A (signifiant que l’UE était parfaitement acquise par l’étudiant) était trop élevée (en France, on note très rarement entre 16 et 20/20 et ce niveau est plus assimilé à « l’excellence » qu’a l’acquisition des compétences fixées par le concepteur de l’UE). Assurément le LMD et ses ECTS ont supprimé ce problème d’équivalence. En France, les évaluations continuent à fonctionner avec une échelle sur 20 points, mais in fine, l’étudiant reçoit son bulletin semestriel avec la mention « obtenu » ou bien « ajourné » pour chacune des UE et pour l’ensemble du semestre.
Dès 2004 le système LMD fût rapidement diffusé aux universités africaines mais la mise en place a pris beaucoup de temps et aujourd’hui elle n’est pas encore totale, du fait de nombreuses difficultés. Ces dernières auraient probablement pu être évitées en analysant plus finement comment le LMD s’est réellement implanté dans les universités en Europe et en particulier en France.

Mobilité et Système de Transfert.

Si la mobilité existe dans l’espace de l’enseignement supérieur Africain, elle n’est ni organisée comme en Europe ni soutenue financièrement (sauf lorsque cela existe, par des bourses octroyées par les états). La mobilité africaine s’est auto-organisée avec différents moteurs (réputation des universités, facilité d’accès au visa, présence de la famille, fuite d’université surpeuplée, fuite d’université trop souvent bloquée par des grèves, etc.). La plupart des universités africaines ont des données très précises sur les nationalités accueillis, mais à notre connaissance, il n’y a pas de statistique globale sur le continent. On sait que les universités du nord du Cameroun accueillent de très nombreux étudiants tchadiens, on sait que les universités du Maghreb accueillent de nombreux étudiants subsahariens. En Europe, la mobilité organisée a impliqué la mise en place du système de transfert de crédits. En Afrique, la mobilité existante ne suffit pas encore à motiver la mise en place d’un système de crédits transférables. Mais on peut noter que les pays appartenant à l’UEMOA (Union économique et Monétaire Ouest-africaine) commencent à s’organiser autour cette question alors que ce n’est pas encore le cas des pays de la zone de l’Afrique Centrale.

L’espace européen de l’enseignement supérieur s’est organisé sur son espace économique et il est probable que sans cet espace économique il n’y aurait jamais eu d’espace d’enseignement supérieur organisé comme il l’est aujourd’hui. Les crédits transférables qui optimisent la mobilité des étudiants on fait l’objet de très nombreux débats encore d’actualité en France et qui font l’objet de blocage dans les université africaines. Dans l’esprit des acteurs des universités françaises, l’idée du transfert a impliqué l’idée d’une harmonisation (selon le principe républicain français d’égalité). En effet, pour transférer le résultat d’un étudiant qui a suivi « mon UE d’histoire médiévale », il faut que l’on s’entende collectivement (mais de quelle collectivité s’agissait-il alors?) sur ce qu’est une UE d’histoire médiévale. Cette tâche était en fait impossible à réaliser sans passer par une harmonisation d’un programme unique de l’enseignement supérieur européen dont il n’était pas question (il contrevient au moins à la loi d’airain de la liberté académique du professeur d’université).

La question de l’harmonisation stérilise le débat dans les universités africaines où l’on passe des heures à présenter tel ou tel modèle à travers des séminaires souvent financés par les africains eux-mêmes et élaborés par des francophones non africains qui viennent trop souvent dans l’idée de transposer un modèle idéal qui ne s’est même pas parfaitement appliqué chez eux. En France, le débat sur l’harmonisation fût rapidement dépassé parce qu’il était impossible à mettre en œuvre. Les discussions ont très tôt porté sur la valeur en heures de cours que l’on donnait à un crédit. En réalité, un crédit correspond à 25 heures travaillées par l’étudiant. Mais 25 heures de travail d’étudiant cela fait combien d’heures de présence de l’enseignant ? Et de quel type de présence s’agit il ?

Cette discussion a eu lieu dans toutes les universités et a donné lieu a différentes interprétations. Cependant, en France, le calcul économique a très tôt fait clore le débat. C’est à dire que ce qui était acceptable d’un point de vue économique c’était l’équation suivante : 1 crédit = 25 heures de travail de l’étudiant = 10 heures de présence de l’enseignant. Dans certains pays d’Afrique on a pu décider d’être plus généreux (12 ou parfois 15 heures de présence pour un crédit) quitte a faire gonfler de façon très importante les heures supplémentaires et les vacations de toute sorte. Le problème était renvoyé au ministre et à la négociation de son budget, ce qui a entraîné dans certains pays d’énormes tensions entre le ministre et les recteurs des universités.Encore une fois, la solution trouvée en Europe était de se caler dans un cadre défini par l’économie. Pouvait-il en être autrement ?

Pluridisciplinarité et professionnalisation.

La convention de Lisbonne appelle à transformer l’enseignement supérieur vers un outil de l’économie de la connaissance avec pour conséquence la transformation des filières académiques monolitiques vers des cursus plus diversifiés (ce qui était déjà rendu possible par la mobilité). Ce point de la réforme a été le plus stimulant du point de vue des réformateurs et des experts de l’Union Européenne mais le plus difficile à mettre en œuvre au niveau du terrain. Aujourd’hui ce point de la réforme reste encore très mal appliqué en France dont certains acteurs de l’université s’ingénient à conserver un mode ancien dans le carcan imposé par le LMD. La preuve en est en France que le débat pour le passage de la première année et la deuxième année du Master n’est toujours pas clos ! C’est la résultante du conservatisme des anciennes filières de type DEA ou DESS qui ont été conservées dans le nouveau modèle LMD. Les étudiants confrontés au problème ne savent même pas de ce qu’était un DESS ou un DEA (ils avaient 10 ans quand ils ont officiellement disparu!). Finalement, en France, le LMD a été peu l’occasion de refonder l’offre de formation alors que la réforme elle même le demandait. En effet, dans le LMD, l’objectif doit précéder l’offre de formation. Une licence ou un Master se défini d’abord par les compétences acquises par le diplômé et comment il peut les valoriser sur le marché du travail. Puis, ces compétences étant définies on construit l’offre sur les compétences à acquérir durant la formation. A l’inverse, traditionnellement dans les universités le cursus se construit selon l’offre académique, les spécialités du professeur. Ce changement de paradigme avait également une autre conséquence. En effet, le « pouvoir » devrait théoriquement quitter le professeur responsable du cours X pour aller vers le ou les responsables de la filière ou du diplôme (qui sont responsable de la bonne insertion professionnelle du diplômé). Cette vision « utilitariste » c’est évidement heurtée à différents fronts et par différentes manières dont l’indifférence et la politique du « gros dos » furent les plus efficaces. Les universités françaises se sont parfaitement accommodées de tout cela en misant sur la diversité de leur offre de formation et en laissant la liberté académique faire son œuvre. Ainsi dans les universités françaises se côtoient des formations sur un format ante LMD mais dans l’habit d’un LMD et des formations innovantes, pluridisciplinaires et professionnelles.
A l’occasion de nombreux séminaires en Afrique, on explique trop la théorie du LMD et en omettant plus ou moins sciemment que la théorie ne fût pas appliquée telle quelle sur le terrain. On transmet une image fausse de ce qui s’est passé en Europe et en France dans des pays où l’on considère souvent à tort que l’européen ou le français c’est la réussite, le mieux, l’efficacité.Si on relatait nos errements et nos incertitudes cela aurait pour conséquence une bien meilleure appropriation et reformulation du LMD par nos collègues africains qui n’ont que faire, pour leur avenir, l’avenir de leurs pays, d’appliquer un modèle théorique que du reste, personne n’a appliqué de manière théorique !

Arnaud Martin