Le Ministre et le terrain : « Oh mais non! Ce n’est pas à nous de faire cela »

C’était en 1998, un peu avant, un peu après, ce n’est pas très important. Un ministre trublion de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur veut dégraisser le mammouth. Enfin, il essaie deux trois trucs. Depuis le début des années 1980, au sein de l’enseignement supérieur français, les facultés subissent, en courbant l’échine, la massification. Les universitaires ne le supportent pas vraiment. Les universitaires supportent rarement que l’état leur disent quoi faire. Trop d’étudiants pour un modèle orienté sur la reproduction des profs. Le ministre veut changer de modèle (et tous les autres après). A cette époque les formations des facultés font l’objet de décrets ministériels (tandis que les IUT se sont organisés depuis longtemps au niveau national en partenariat avec les entreprises et que les écoles d’ingénieurs ont un dispositif de certification des formations très efficace). Le ministre introduit dans son décret une mention qui laisse aux universités l’opportunité de créer un nouvel enseignement qui s’appelle « initiation à la vie professionnelle » au niveau des maitrises (actuellement première année de Master). L’état laisse le soin aux universités de mettre en place ou pas ce nouvel enseignement optionnel.

Cette proposition descend tous les étages et rouages des universités et arrive au niveau de la structure qui discute des formations, le département d’enseignement. Cela fait deux ans que je suis recruté à la fac comme jeune enseignant-chercheur. Je suis dans le département lorsque cette option est discutée. Très enthousiaste à cette idée, je m’avance et je dis que je veut réaliser cette nouvelle option pour la maitrise de Biologie. Réponse de la moitié des collègues :  » oh, mais non! ce n’est pas à nous de faire cela ». Réponse avisé du chef de département : « puisque Arnaud veut le faire, laissons lui le faire ». Ouf! J’ai passé 5 années faire venir des professionnels des métiers de l’environnement, des professionnels du recrutement, etc. J’ai eu des étudiants de plus en plus enthousiastes. Des années plus tard j’en ai retrouvé un au Cameroun, il était devenu chercheur à l’IRD et il se souvenait très bien de cette option qui l’avait aidé à affiner son projet de formation et son projet professionnel. D’autres m’ont également rappelé des années plus tard combien cette option leur avait été utile.

Aujourd’hui, la professionnalisation des formations dans les facultés c’est un peu développée, mais le fond n’a pas vraiment changé. Pour la majorité des enseignants-chercheurs exerçant dans les facultés, toute unité d’enseignement qui ne relève pas de la discipline est étiquetée « oh, mais non! ce n’est pas à nous de faire cela ». Cependant, il est facile de constater que toutes les formations qui accompagnent les étudiants dans leur projet de formation et leur projet professionnel sont plébiscités à l’instar des autres formations traditionnelles qui sont de moins en moins attractives, au moins dans les facultés des sciences.